Hôtels, lieux de mémoire de la ville

Hôtels, lieux de mémoire de la ville

Saddek BENKADA
Historien, chercheur au CRASC

 

Les grandes réalisations hôtelières entreprises ces dernières années, dans différentes villes du monde, prouvent à souhait, si besoin est, les mutations qui sont en train de s’opérer dans les activités hôtelières, notamment de luxe et de loisirs, et ce, pour répondre à une clientèle de plus en plus nombreuse et fidèle mais plus exigeante, tant en matière de goût que de confort, que ce soit dans le domaine de la gastronomie raffinée que dans celui de l’hôtellerie haut de gamme.

Ces nouvelles tendances sont directement liées à l’émergence au niveau mondial de nouveaux flux d’échanges et de circulation des hommes, des capitaux et des idées ; ce qu’on appelle la mondialisation. À tel point qu’aujourd’hui, de nombreuses villes ont compris que la clé de leur réussite économique et culturelle réside manifestement dans la disponibilité d’un parc hôtelier de luxe, qui leur assure le label de ville accueillante et hospitalière. Conditions nécessaires à l’attraction d’une nombreuse clientèle riche et raffinée et à leur opportunité de se voir, un jour, choisies pour accueillir un des événements majeurs. Raisons pour lesquelles assurément, des groupes  hôteliers ou des investisseurs passionnés de luxe, ont été amenés, dans de nombreuses métropoles, à investir dans l’immobilier hôtelier ; soit par la construction de somptueux hôtels à l’architecture audacieuse, soit par de grandes opérations de rénovation d’anciens hôtels auréolés de légende, en donnant un nouveau design tant à leur agencement interne qu’à leur mobilier.

Cependant, face à la féroce concurrence des chaînes asiatiques qui a déferlé sur les capitales européennes ces dernières années, notamment à Paris, de nombreux établissements hôteliers de prestige, souvent des lieux de mémoire, ont dû s’adapter aux nouvelles exigences imposées par le management hôtelier asiatique sous peine de risquer de disparaitre à jamais de la mémoire collective. C’est ainsi qu’une série de fermetures provisoires ont eu lieu depuis 2012 afin de permettre à certains anciens établissements hôteliers d’entreprendre de longs et importants travaux de rénovation (Le Ritz, Le Crillon, Le Lutétia, Le Bristol, Le Meurice, Le Plaza-Athénée), en vue de faire face à la boulimie asiatique de reprise d’anciens hôtels transformés en établissements de grand luxe tels le Royal Monceau Raffles, le Shangri-La, le Mandarin Oriental, le Peninsula.

Depuis qu’il a été généralisé par Pierre Nora et ses collaborateurs, le concept de lieu de mémoire a investi de nouveaux champs de la recherche, notamment par des historiens spécialistes des usages sociaux. Lieu de sociabilité et de convivialité par excellence, l’hôtel est également donc lieu de mémoire ou même des mémoires.

Est-il possible, dans l’état actuel de la recherche en sciences sociales, d’ouvrir de nouveaux chantiers sur les hôtels comme lieux de mémoire, comme cela commence à se faire pour le hammam et le café ?

L’objectif de cette contribution est d’attirer l’attention des promoteurs hôteliers sur la nécessité plus que jamais impérieuse de conserver et sauvegarder les archives hôtelières, parent pauvre des archives historiques nationales sans qui il n’est guère possible de construire une identité culturelle des établissements hôteliers qui ont marqué la vie sociale, politique et culturelle des villes.

Il va sans dire que les recherches sur l’histoire des hôtels restent grandement tributaires des archives hôtelières qui, pour de nombreux établissements ont disparu ou ont été détruites. Lorsqu’en 2005, je présentai à M. Djillali Mehri mon livre sur l’histoire du port d’Oran, il me demanda s’il ne serait pas possible d’écrire l’histoire du Royal-Hôtel. Et à ce propos s’est posée une question cruciale, celle des archives de l’hôtel dont nous apprîmes, de la bouche même de l’ancien directeur de l’hôtel, M. Abderahman Benslimane, et à la grande stupéfaction de M. Mehri, qu’elles furent complètement détruites, en 1969. C’est à ce moment que j’ai pris conscience de l’importance des archives hôtelières qui font incontestablement partie du patrimoine, partant de la mémoire historique, culturelle et touristique de la ville.

En dehors des archives hôtelières proprement dites, l’historien dispose heureusement d’autres sources documentaires, constituées généralement par la production littéraire (romans, nouvelles, pièces de théâtre…) et journalistique (chroniques mondaines, arrivées des navires…) revue et journaux d’hivernage.

 

Oran et ses premiers hôtels

En 1862, Louis Piesse, dans son Itinéraire, recommande pour les gens de passage à Oran, deux hôtels : l’Hôtel de France, place Napoléon et  l’Hôtel d’Orient, place Kléber.

Jusqu’au début du XXè siècle, c’étaient les deux établissements hôteliers qui faisaient l’orgueil de la ville. Mais à partir de 1904, la création des nouveaux quartiers de la Nouvelle Poste et du Lycée vont devenir ce qu’on pourrait considérer comme étant à l’époque le Triangle d’or de l’hôtellerie oranaise. Ils concentraient à eux seuls, les principaux hôtels de la ville : le Grand Hôtel Continental, Hôtel de France, Hôtel et Restaurant du Progrès, Grand Hôtel d’Europe, International-Hôtel et le tout dernier né, le Royal- Hôtel, inauguré le 15 février 1904, jour du Mardi-Gras. Les clients de l’hôtel profitent de deux grandes réalisations commerciales : la Galerie Pérez, inaugurée le 25 janvier 1904 et les Nouvelles Galeries Oranaises, ouvertes le 8 février 1904.