Des villes algériennes dans la rhétorique littéraire de quelques romans récents

Des villes algériennes dans la rhétorique littéraire de quelques romans récents

Hadj Miliani

 

Le propos général

La ville est sans conteste un espace privilégié de l’univers romanesque contemporain en Algérie. Elle constitue un des répertoires thématiques, un ‘sujet de mise’ selon la formulation de Marc Angenot. Mais paradoxalement, cette importance, elle la doit moins àune quelconque présence massive dans les romans algériens que par le fait d’être tout à la fois un espace de référence social et historique, un espace de la démonstration discursive et une matrice générique de configurations métaphoriques et mythographiques. Si toutes ces manifestations sont identifiables ici et là dans les œuvres romanesques des écrivains algériens depuis près d’un siècle maintenant, je m’attacherai à indiquer plus modestement quelques unes des modalisations qu’offrent certaines œuvres de l’immédiat contemporain (depuis 2010 environ) et de proposer quelques réflexions provisoires et des pistes de chantiers à investir.

 

La ville comme scénographie

Il est assez significatif que les années 2000 voient une inflexion importante de la perspective décrite par Charles Bonn pour les œuvres romanesques des années80. La ville est dès lors un des principaux embrayeurs de scénographies politiques ; la plupartdes romans qui relèvent du genre policierillustrent parfaitement cet aspect ; ou plus récemment Qu’attendent les singes de Yasmina Khadra, Rue Darwin de Boualem Sansal,  Le printemps de Rachid Boudjedra,   développent autour de l’univers de la ville des scénarios qui impliquent une forme d’appropriation de la spatialité particulière. C’est-à-dire que les différents espaces de la ville (espaces du privé et espace du public) et la symbolique de certaines d’entre eux entrent dans la construction démonstrative de la fiction littéraire dans une métaphorisation politique généralisée.

Nous constatons que, très tôt, l’espace urbain comme opérateur thématique et narratif de la production romanesque permet de valider la territorialisation de la fiction dans son envers référentiel avéré : tel ou tel espace urbain, telle ou telle ville sont des repères référentiels et des indicateurs de vraisemblance qui fondent la territorialisation(Si Alger se taille la part du lion, Constantine et Oran apparaissent ici et là sans focaliser pour autant le propos). La focalisation sur l’espace urbain est une manière de travailler la trame historique sous la forme d’indices référentiels précis :

«  Dans cette ville de trente-cinq kilomètres carrés condamnée, jusqu’en juillet 1952, à boire l’anisette et le café avec de l’eau saumâtre, les populations ne se mélangeaient pas, sauf sur les lieux de travail, dans les transports publics ou dans les allées de certains marchés.  »

« Généralement nombreuses et défavorisées, la majorité des familles algériennes avaient toujours vécu à l’étroit et dans la gêne. La pièce qu’elles occupaient servait aussi de cuisine. Elle contenait une armoire en aggloméré, une meïda, une table basse, des petits bancs en bois, un berceau à bascule, un réveille-matin et un poste de radio. Il n’y avait pas de téléphone, sauf chez l’épicier quand il voulait bien fonctionner. »

C’est également une manière d’embrayeur d’évocation mémorielle et de retour en arrière :

« Quand j’ai posé pied sur la Darwin, il y eut comme un éclair, ma tête a fait un tour, un flash-back vertigineux, et lorsque j’ai rouvert les yeux, nous étions…oui, dans un autre film… En ce temps de mon enfance, en l’an mille neuf cent cinquante-sept, au cœur de l’été, sous le feu ravageur du soleil d’août, à son zénith à en juger par les stridences qui saturaient l’air et l’état de tension d’une vie profuse et ardente brutalement encalminée.  »

On a pu remarquer également que l’espace topologique romanesque algérien pouvait apparaître comme un espace de l’errance et d’une spatialisation toujours ambiguë du territoire référentiel ou emblématique, même s’il revendique des lieux symboles ou des topographies familières pour s’actualiser : la rue, les places, la perspective des immeubles, les éclairages urbains, etc.

« Le processus de symbolisation qui engendre des lieux exemplaires consiste donc avant tout à promouvoir de nouvelles significations pour des lieux inchangés, en les inscrivant dans un nouveau contexte social et territorial. Ce changement de signification les fait advenir comme symboles. »

Notons que dans l’ouverture de certains romans, la présentation de la ville d’Alger est illustrée assez souvent par descriptions panoptiques pour signifier dans une interculturalité évidente, sur le modèle du poncif des grandes fictions réalistes, la ville moderne dans sa gloire…