Daniel Grataloup : «En architecture, la tradition est néfaste»

Daniel Grataloup : «En architecture, la tradition est néfaste»

Daniel Grataloup est un architecte franco-suisse. Il s’inscrit dans le mouvement de l’architecture-sculpture. La courbe est à la base de toute son expression architecturale ; tant sur le plan de la conception que de la réalisation. Daniel Grataloup est né le 25 décembre 1937 à Lyon. Il s’installe à Genève en 1968, lieu où il réalise plusieurs habitations-sculpture à Genève. Grataloup est également docteur de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Architecte SIA, Urbaniste, Architecte d’intérieur designer CATUCAD, Professeur d’Arts plastiques, Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

Monsieur Grataloup a bien voulu répondre à notre invitation et a très gentiment accepté de jouer le jeu des questions-réponses.

 

 

Madinati : Professeur Grataloup, vous avez créé une architecture originale et novatrice, internationalement reconnue, comment l’avez-vous élaborée ?

DG : A mes débuts professionnels, j’ai réalisé une maison traditionnelle, dans le midi de la France en 1966, la seule de toute ma carrière ! A cette occasion, j’ai effectué une série d’analyses critiques durant toute sa construction pour en étudier chaque phase. L’enseignement et les conclusions que j’ai pu tirer de cette aventure m’ont convaincu de l’absurdité de construire encore aujourd’hui de façon traditionnelle.

 

Madinati : Êtes-vous donc contre les traditions ?

DG : Non, pas toutes, mais je les limiterai à certaines comme celles concernant le folklore et la gastronomie, par exemple. Quant à l’architecture, je trouve la tradition dans ce domaine néfaste car anti-créative. En effet, l’évolution de nos modes de vie et nos technologies ont beaucoup évolué, nous permettant ainsi de pouvoir créer une nouvelle architecture plus conforme à notre vie actuelle et à nos besoins, sans oublier les contingences extérieures. Dans le passé, chaque génération a su créer l’architecture de son temps, en rapport avec sa culture, ses besoins et ses moyens techniques. Cette magnifique diversité est à la base d’une richesse artistique et historique irremplaçable. Pourquoi notre génération n’aurait-elle pas le courage de s’exprimer aussi par le bâti pour témoigner de notre époque ?

 

Madinati : Pouvez-vous nous résumer brièvement votre philosophie de l’habitat et les diverses propositions que vous pouvez faire sur le plan de la réalisation ?

DG : Ma philosophie est simple, elle repose sur 4 critères : l’observation, l’abandon des habitudes et de tout a priori, l’analyse critique et l’expérimentation.

Premièrement l’observation : Il suffit d’étudier la nature vivante pour constater que son expression physique est toujours à base de courbes, qu’il s’agisse d’un corps humain, d’un animal, d’un végétal et de tout ce qui fonctionne. Il en est de même concernant les circulations naturelles et la gestuelle humaine où tous les mouvements ne décrivent dans l’espace que des courbes. La ligne droite et les angles n’existent pas dans la nature du vivant.

Deuxièmement : L’abandon de nos habitudes et de tout a priori est absolument nécessaire pour pouvoir repartir à zéro, afin de se laver le cerveau de ce que l’on a pu voir et appris durant des années, dans le but d’avoir une lecture libre et neuve des problèmes pour obtenir les résultats espérés et même les dépasser.

Troisièmement : Analyser de manière critique ce que nous avons appris dans nos écoles spécialisées et vu sur les chantiers traditionnels. Cela permettra de revoir les nouveaux projets différemment, depuis leur conception jusqu’à la finalisation de leur réalisation. Nous pourrons ainsi éliminer les côtés irrationnels malgré les apparences inverses. La nécessité de comptabiliser le temps, l’énergie, les ressources, les frais, etc., pour obtenir un résultat digne des multiples possibilités actuelles est indispensable.

Quatrièmement : L’expérimentation est absolument nécessaire pour permettre la création et les améliorations.

Il ne faut pas avoir peur d’essayer. L’erreur est, certes, possible mais non rédhibitoire. Elle paraît souvent dérisoire par rapport au bénéfice que l’on peut obtenir en innovant.

 

Madinati : Comment définissez-vous votre architecture ?

DG : Je considère mon architecture comme l’enveloppe d’un vide habitable, basée sur la liberté de mouvement des habitants dans leur vie quotidienne ; ce qui aboutit à la création d’une sculpture fonctionnelle.

Il en résulte tout naturellement une volumétrie architecturale entièrement régie par des courbes, permettant l’auto portance et la continuité des formes ; ce qui est évidemment vrai pour l’habitat l’est également dans la réalisation.

Sur le plan pratique, mon but est de pouvoir construire, «in situ», dans l’espace, des bâtiments privés ou publics, dont chaque expression formelle correspond à une fonction. Le tout est réalisable intérieurement et extérieurement, avec un seul matériau et une seule technique : le béton projeté sur une armature métallique autoportante. Nous réaliserons aussi bien les détails de l’habitat, tels que appliques lumineuses, cheminées, rangements, etc., que le gros œuvre, c’est à dire l’enveloppe totale de l’habitat.

Depuis la fin des années 60, plusieurs de mes réalisations, toujours en parfait état, on fait l’objet d’un classement.

 

Madinati : Parlez-nous maintenant de votre aventure algérienne.

DG : Ma rencontre avec Monsieur Brahim Mekki, qui fût mon élève à Genève, a été déterminante. Convaincu par mes idées et enthousiasmé par mes réalisations il décida d’importer dans son pays, l’Algérie, mon architecture. C’est ainsi que plusieurs réalisations ont étés effectuées d’après mes conceptions et mes techniques. Par exemple, des villas privées et, en 2003, un bâtiment dans un parc à El-Amria, prévu pour être une cafétéria, un restaurant et mettre à disposition de grandes salles de réceptions et d’expositions.

Puis le complexe résidentiel et touristique de Bouzedjar !

C’est donc avec un courage, une détermination, une compétence et une confiance sans faille que Brahim Mekki s’est lancé dans cette grande aventure architecturale, afin de créer avec moi «une nouvelle architecture algérienne». Ses espoirs et son acharnement ont eu raison des très grandes difficultés, dans tous les domaines, qu’il a dû surmonter pour obtenir ces spectaculaires réalisations novatrices, qui font l’admiration de ceux qui les ont vues.

Brahim Mekki mérite tous les encouragements possibles, afin de lui permettre de réaliser tous les programmes que nous avons établis ensemble : motels, centre de balnéothérapie, salle polyvalente, villas privées, centre d’information, salle de méditation, divers commerces, aire de jeux, etc. De tous ces programmes, les plans et les maquettes existent et nous sommes prêts à les réaliser.

 

Entretien réalisé par D. Tahraoui